Saint Benoît de Norcia
Benoît de Nursie
Né vers 480 à Nursie (en italien Norcia) en Ombrie, mort en 547 dans le monastère du Mont-Cassin, st Benoît pour les catholiques et les orthodoxes, est le fondateur de l’ordre des Bénédictins et a largement inspiré le monachisme occidental ultérieur.
Il est considéré comme le patriarche des moines d’Occident, grâce à sa règle qui a eu un impact majeur sur le monachisme occidental et même sur la civilisation européenne médiévale. Il est souvent représenté avec l’habit bénédictin (coule noire), une crosse d’abbé, ainsi qu’un livre.
Saint Benoît est fêté le 11 juillet, date de la célébration de la translation de ses reliques à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire.
Enfance
Benoît naît vers 480, issu d’une famille noble romaine de Nursie (Norcia, à 110 km au NNE de Rome), en Ombrie. Son père Europe, fils de Justinien Probus, de la gens Anicia, est consul et capitaine général des Romains dans la région de Nursie, sa mère Abbondanza Claudia de’ Reguardati di Norcia appartient à la famille Reguardati, des comtes de Nursie. Il a une sœur, Scholastique. Il naît dans une famille chrétienne qui le nomme Benoît, prénom chrétien signifiant bénédiction.
Son enfance se déroule à Nursie, où il vit avec ses parents et reçoit une bonne instruction. À cette époque, les enfants de l’aristocratie sont placés sous la direction d’un esclave particulièrement instruit, ce qui fut sans doute le cas de Benoît. Nursie possède alors deux églises où le culte de deux saints est déjà développé : saint Eutychius et saint Florentius. Arrivé à l’âge de l’adolescence, Benoît quitte sa famille, comme la majorité des enfants de la noblesse italienne, pour faire des études libérales. Il part pour Rome, sans doute afin d’y étudier le droit et les lettres classiques, études obligées des jeunes destinés aux responsabilités administratives.
Benoît part avec sa gouvernante et arrive à Rome vers l’an 495. La tradition précise qu’ils s’installent sur la rive droite du Tibre, près de l’Aventin, dans ce qui deviendra plus tard l’église Saint-Benoît.
Rome est alors une ville de près de 450 000 habitants, tandis que la politique intérieure de Théodoric le Grand favorise la paix et l’activité des artistes et des administrateurs romains. Le roi cherche à embellir et restaurer la ville, et de nombreuses fêtes font de Rome une ville dynamique. Le mode de vie romain et le désordre moral où sombrent ses compagnons choquent rapidement Benoît, qui décide de fuir avec Cyrilla afin de pouvoir se consacrer entièrement à la Bible. Son départ est motivé par la peur de « tomber dans l’abîme des vices, de l’ambition et de la sensualité ». Il choisit « la science du non-savoir et la docte ignorance ». C’est son fond profondément religieux qui pousse Benoît à quitter Rome et la carrière qui lui était promise.
Ils quittent la ville par la porte Tiburtine et marchent vers le sud. Ils s’arrêtent à Enfide, où ils trouvent refuge dans l’église San Pietro. Enfide (actuellement Affile) est une localité située à 50 kilomètres de Rome, sur le versant des monts Ernici. C’est dans cette localité qu’aurait eu lieu le premier miracle de Benoît : sa servante ayant par maladresse cassé en deux un crible emprunté à une voisine, Benoît prie et l’ustensile se répare sans présenter de trace de fêlure. Ce miracle conduit à sa soudaine popularité, il décide alors de fuir tout son entourage pour « aller dans le désert » dans la localité voisine de Subiaco et y mener une vie érémitique. Dans le récit de Grégoire le Grand, Benoît ne part plus pour fuir le vice, mais « plus avide de souffrir les maux de ce monde que de jouir de ses louanges, d’endurer les travaux pour Dieu plutôt que de s’élever par les faveurs de la vie ». Le départ pour la vie érémitique est une quête de Dieu.
Vie érémitique
Un certain jour, alors qu’il est seul, Benoît commence à penser à une femme très belle qu’il a rencontrée lors de son séjour à Rome. Face à cette tentation de retourner dans le monde, il se roule nu dans un buisson d’épines et d’orties et s’immunise ainsi contre toute tentation ultérieure. Dans sa quête de solitude, qui ressemble à celle d’Antoine le Grand, Benoît rencontre à Subiaco un moine, nommé Romain, à qui il demande de lui indiquer un lieu peu visible et difficilement accessible. Ce moine lui montre une grotte, au pied d’une falaise, où Benoît s’installe. La grotte sera baptisée plus tard la Sacro Speco, la Sainte Grotte.
L’amitié entre le moine et Benoît se concrétise par une aide matérielle : le moine lui apporte régulièrement de la nourriture ainsi que des textes à l’aide d’un panier accroché à une corde et une clochette. C’est ce même moine romain qui donne à Benoît ses premiers habits religieux, le recevant ainsi dans les ordres mineurs. Benoît suit alors le mode de vie des anachorètes, inauguré par Paul de Thèbes et poursuivi par Antoine le Grand, Jérôme de Stridon, Basile de Césarée, assez courant dans le monde romain depuis le iiie siècle.
La vie érémétique de Benoît s’arrête au bout de trois ans4, quand le moine Romain ne vient plus le visiter, peut-être pour cause de décès. C’est au cours de la nuit de Pâques, alors que Benoît a perdu toute notion de calendrier, qu’un curé de campagne est incité en songe à lui apporter de la nourriture. Il écoute la voix du songe et, peu après, parle de Benoît autour de lui. La renommée de Benoît croît et de nombreuses personnes des alentours lui rendent visite. Peu de temps après, des moines ayant perdu leur supérieur demandent à Benoît de devenir leur abbé. Après avoir décliné une première fois l’invitation, il se laisse finalement convaincre et décide alors de quitter sa grotte pour Vicovaro.
Premier abbatiat à Vicovaro
C’est vers 510, que Benoît devient abbé pour la première fois. Très vite il se rend compte que sa communauté de Vicovaro ne respecte pas rigoureusement la règle de saint Pacôme qui avait organisé les premières communautés religieuses. Benoît cherche à y restaurer l’ordre, en rétablissant l’autorité et les pénitences. Très vite les moines regrettent de l’avoir élu abbé. Ils cherchent alors à l’empoisonner en mélangeant des herbes vénéneuses à son vin. Lors du bénédicité, Benoît fait un signe de croix et sa coupe de vin se brise. Sans violence, il décide de partir et de retrouver la solitude de sa grotte. Benoît semble soulagé de retourner à sa retraite : « Il revint alors au lieu de sa chère solitude et, seul sous le regard de Celui qui voit d’en-haut, il habita avec lui-même ».
Fondation des premiers monastères
Alors qu’il vit retiré dans sa grotte, il voit venir à lui quantité de disciples désireux de « servir avec lui le Dieu tout-puissant ». Il quitte sa grotte et décide de s’installer avec ses disciples en bordure d’un lac, à Subiaco, où il restera entre vingt et trente ans. La fondation d’un monastère est régie depuis le concile de Chalcédoine par l’autorisation de l’évêque. Benoît a donc sans doute reçu l’approbation de l’évêque du lieu pour fonder cette communauté.
Pour tout ce monde, il construit douze maisons, avec — pour chacune — douze moines et un abbé. Lui-même, Benoît, demeure dans une treizième maison, se chargeant d’y former les jeunes recrues. Parmi les jeunes gens venus se présenter, il y en a « de bonne espérance » : Maur, qui devient rapidement son auxiliaire, et le tout jeune Placide.
Chaque nouvelle maison, ou petit monastère, est confiée au patronage d’un saint. Benoît s’inspire en grande partie de l’exemple de Sabas le Sanctifié. Mais il refuse les dérives des communautés cénobitiques d’Orient, car il est opposé à leurs pénitences excessives. Il insiste sur la nécessité de l’humilité plutôt que sur les mortifications.
Dans Dialogues, Livre II, Grégoire le Grand rapporte quelques prodiges survenus sur le site de Subiaco :
– au chapitre V : trois des petits monastères, situés au haut d’une montagne, manquent d’eau. Les occupants désirent changer d’emplacement, mais Benoît leur recommande de frapper le sol à l’endroit qu’il a marqué de trois pierres, et le lendemain en jaillit une source abondante ;
– au chapitre VI : un Goth attiré par la vie monastique, pauvre d’esprit mais acharné au travail, occupé à débroussailler sur le bord du lac, frappe si fort de sa faucille que le fer se détache et tombe dans l’eau profonde. Informé de l’incident, Benoît s’approche du lac, prend le manche de l’outil et le dépose dans l’eau : la lame remonte des profondeurs et se réajuste sur le manche ;
– au chapitre VII : le petit Placide, en puisant l’eau du lac, y tombe et est entraîné très loin du rivage. Benoît, de sa cellule, voit la chose et ordonne à Maur de courir au secours de l’enfant. Maur s’en va en hâte et court sur l’eau ; après coup seulement il se rend compte du miracle, miracle que Benoît attribue à l’obéissance de son disciple, tandis que celui-ci l’attribue à l’ordre de son abbé. Placide, quant à lui, attribue le prodige à Benoît car, « au moment où j’ai été tiré de l’eau, j’ai vu au-dessus de ma tête le manteau de l’abbé, et j’avais l’impression que c’était lui qui me tirait de l’eau ».
Sa piété et sa renommée attirent de plus en plus de personnes auprès de Benoît, au point qu’un des prêtres de la région, Florentius, jaloux de son influence, cherche à en diminuer l’éclat : il calomnie Benoît, puis interdit à ses paroissiens d’aller le voir. Il envoie à Benoît un pain empoisonné, destiné à être béni et partagé, pratique chrétienne appelée eulogie. Benoît, soupçonnant la malveillance de Florentius, présente le pain à un corbeau apprivoisé et lui ordonne d’emporter au loin le funeste cadeau. Après avoir évité la tentative d’empoisonnement par le vin, Benoît déjoue le complot d’empoisonnement par le pain. Enfin, Florentius envoie sept femmes païennes nues danser aux abords des monastères, afin de réveiller le désir sexuel des jeunes moines.
Devant l’hostilité de Florentius, Benoît, accompagné de quelques moines, décide de quitter Subiaco, laissant au frère Maur la charge des moines restants. Au moment de son départ, Benoît apprend que le père Florentius vient juste de décéder dans l’écroulement de sa maison et pleure cependant la mort de son ennemi. Il ne modifie pas sa décision de quitter ce lieu hostile, craignant pour la vie de ses moines.
Occupation du mont Cassin
De Subiaco, Benoît et ses compagnons partent (en 529 ?) vers un bourg au flanc d’une montagne, dans une région plus aride et alors moins christianisée, pour s’installer au lieu-dit Cassino, le mont Cassin. Ce lieu avait été un camp de la légion romaine. Dans un bois des environs, vit un moine ermite prénommé Martin. Pour résister à l’attrait du monde, il vit attaché à un arbre. Arrivé sur place, Benoît le convainc de détacher ses chaînes afin de vivre pour Dieu par amour, et non par crainte du monde. L’ermite accepte et devient l’un de ses moines. Par ailleurs, les moines diffusent le christianisme auprès des habitants des alentours.
Certains bois sont des lieux de culte et de dévotion aux anciens dieux et, lors de la construction de l’abbaye, des murs s’effondrent à plusieurs reprises, « poussés par les démons » disent les biographes. Ces lieux avaient abrité un ancien temple d’Apollon et de Jupiter. Selon les biographies orales sur saint Benoît, les manifestations démoniaques cessent après la découverte et la destruction des idoles trouvées sur place. Avec les anciennes pierres des temples, les moines élèvent une chapelle dédiée à saint Martin de Tours, et un oratoire est placé sous la protection de saint Jean le Baptiste. Le récit de la vie de Benoît le montre faisant face aux difficultés et aux manifestations démoniaques par la prière.
Construction du monastère de Terracine
Un homme pieux demande à Benoît d’envoyer des moines pour ériger un monastère dans son domaine situé près de la ville de Terracine, dans le Latium. Accédant à sa demande, Benoît forme une délégation de frères conduite par un Père et son second, avec pour mission de concrétiser le projet. Avant leur départ, Benoît leur promet d’être auprès d’eux, un jour donné, pour désigner l’emplacement de chacune des pièces du monastère. La nuit précédant le jour promis, le Père et son second reçoivent en songe — avec beaucoup de détails et une étonnante précision — tous les renseignements attendus. Peu convaincus de la fiabilité de leur vision, ils attendent cependant la présence physique de Benoît. « Ne vous suis-je pas apparu à l’un et à l’autre pendant votre sommeil et ne vous ai-je pas désigné chaque endroit ? ». Ce fut le dernier monastère à la construction duquel participa St Benoît.
Miracles, prodiges et prophéties
Les Dialogues de Grégoire relatent que durant la construction du monastère du Mont-Cassin, le démon rend une pierre tellement lourde que les frères ne parviennent pas à la déplacer, jusqu’à ce que la prière de Benoît intervienne. C’est encore le démon qui, dans la cuisine où l’on a déposé une idole trouvée en terre, donne l’illusion d’un incendie; la prière de l’abbé guérit les frères victimes de cette hallucination. Le diable fait s’écrouler un mur sur un jeune moine ; la victime est bien mal en point, mais Benoît accourt, prie, et le moine peut se remettre aussitôt au travail.
Ces mêmes Dialogues relatent qu’au cours des années qui suivent, la vie de Benoît est marquée par une perception surnaturelle et le don de prophétie. À plusieurs reprises, il a la connaissance mystérieuse d’une infraction aux règles, celle d’un moine qui aurait conservé des dons, oubliant de ce fait le vœu de pauvreté, celle d’un autre moine qui a oublié de jeûner, etc.
La réputation de prophète de Benoît incite le roi ostrogoth Totila à vouloir le rencontrer. Mais le jour venu, il envoie à sa place son écuyer Rigo, revêtu des habits royaux et entouré d’une escorte royale. Dès que Benoît aperçoit Rigo, il lui crie de loin « Mon fils, laisse là ce que tu portes : ce n’est pas à toi. » Tout penaud, Rigo rapporte la chose à son maître, lequel alors rencontre Benoît, qui lui reproche vivement sa cruauté lors de ses combats et prophétise son règne de neuf ans et sa mort la dixième année. Le récit décrit de nombreuses prophéties de Benoît notamment sur le Mont-Cassin et sa future destruction.
Grégoire rapporte que Benoît avait assuré à l’évêque de Canosa que Rome ne serait pas anéantie par les Barbares, mais ébranlée par les tempêtes, les cataclysmes, les cyclones et les tremblements de terre. Autre prophétie que Benoît fit un jour « Tout ce monastère que j’ai construit […] a été livré aux païens par un jugement de Dieu tout-puissant. À peine ai-je pu obtenir que les vies me soient concédées. » Dans la destruction, en 589, du Mont-Cassin par les Lombards, pas un moine n’a été tué.
Enfin, l’année de son trépas (547), il prédit à quelques frères le jour de sa mort. Six jours avant, il fait ouvrir sa tombe. Quand la fièvre le prend, il se fait porter à l’oratoire, communie, puis appuyant ses membres affaiblis sur les bras de ses disciples, se met debout, les mains levées au ciel et, dans un dernier souffle, murmure des prières. Ce jour-là, deux frères ont une vision identique : celle d’une voie jonchée de tapis et brillant d’innombrables feux qui, droit vers l’orient, va de la cellule de Benoît jusqu’au ciel. Benoît sera enseveli dans l’oratoire de Saint-Jean-Baptiste qu’il avait fait ériger sur le Mont-Cassin, à l’emplacement du temple d’Apollon.
Saint Benoit spiritualité bénédictine
« Dieu premier servi »,
Quelques points fondamentaux pour une vie chrétienne dans l’esprit bénédictin de sainte Hildegarde, disciple de saint Benoît et liée à saint Bernard de Clairvaux
Extraits du livre d’entretiens spirituels sur la règle de Saint Benoît, don Sighard Kleiner, abbé général de l’ordre de Cîteaux.
La spiritualité occidentale est imprégnée par l’esprit de saint Benoît. Sainte Hildegarde est avant tout une moniale bénédictine. Elle a insufflé ses propres inspirations et charismes, sans jamais s’écarter en rien de cette spiritualité qui constitue les racines du christianisme européen. Voici quelques extraits d’un livre magnifique qui donne des points clairs d’exercice pour une vie spirituelle incarnée dans le quotidien.
La vocation de l’homme c’est d’entrer librement dans la communion avec Dieu et, par lui, d’être en communion avec tous les hommes et même avec l’univers. Etre en communion, c’est changer de centre de gravité, passer du « moi » au « toi ». Cela s’appelle l’amour.
Vivre d’amour suppose un détachement de tout ce qui est « l’esprit du monde », une libération d’un certain style de vie, ordinairement admis, pour en adopter un autre, différent, nouveau. Il faut lutter sans cesse, pour ne pas se laisser absorber par la mentalité ambiante – que l’évangile appelle « le monde »- et ne pas retomber dans le puits de son égocentrisme.
Prendre ce chemin c’est répondre à un appel, et non pas d’abord prendre une décision de soi-même. Il ne faut jamais oublier que nous y sommes invités à vivre en chrétiens et que c’est une grâce qui nous est faite.
« Écoute mon fils » dit saint Benoît. La vie spirituelle est une « écoute » permanente du cœur. Il n’y a pas de vie intérieure sans esprit d’écoute. L’écoute se traduit en obéissance, cela suppose ensuite un « choix ». Car la foi est un choix réciproque. A l’ « être choisi » par Dieu répond un choix en retour : « Je te choisis ». Ce choix est sans cesse à renouveler et à concrétiser dans les décisions, les résolutions, la détermination.
Ce choix nous rend donc « disciples », c’est-à-dire que nous voulons suivre une « discipline de vie », apprendre à nous donner. Nous savons que le processus de transformation est long et exige un effort permanent. Pour cela nous cherchons une « École du service du Seigneur ». Le chrétien qui veut être disciple ne peut rester seul. Il lui faut un lieu, une communauté de frères avec lesquels il partage les joies et les difficultés de sa quête, un enseignement pour le guider et des exercices pour s’entraîner.
Il devient alors « soldat du Christ », combattant contre toutes les tendances qui le replient sur lui-même, afin d’être disponible à l’œuvre de Dieu en lui, par lui. Il devient missionnaire et témoin par toute sa vie. Son but est le don de soi, de toute sa personne, « rendue » à son Créateur. Afin de devenir un homme nouveau, éternel, il est prêt à tous les sacrifices, tous les exploits. Transformé par l’amour du Christ, et non par sa propre action, il veut s’ouvrir, se rendre disponible à cet amour et cela demande trois types de travail : la purification, les observances, la prière.
La purification ou ascèse
Au mot grec askesis correspond en latin exercitium, exercice. Au sens large, l’homme doit s’imposer une certaine ascèse, c’est-à-dire des efforts, pour le maintient de l’équilibre physique et non moins pour cultiver sa personnalité, sa formation intellectuelle et morale, son comportement extérieur. L’homme ne peut manger n’importe comment et n’importe quoi comme il en aurait peut-être envie, il doit s’imposer des restrictions, des limites, des règles. Il ne peut boire comme la nature le pousserait à le faire, il doit s’imposer une ascèse. Nous ne pouvons pas dormir à n’importe quelle heure et comme nous le voudrions, mais nous devons nous lever à une heure déterminée. L’horaire de notre travail doit être respecté. Combien exigeante est l’ascèse à imposer à notre langue (à nos yeux, nos oreilles…) ! Le maintien de relations normales avec notre prochain nous impose une ascèse de vigilance, de contrôle de nous-mêmes, de discipline. Le besoin d’être sincère et véridique exige une surveillance suivie, un examen de conscience fréquent.
Cette ascèse a comme objet et comme motif le bien-être naturel de l’homme. Elle est indispensable pour l’homme qui se respecte. L’ascèse à finalité religieuse, surnaturelle, souvent, coïncide dans ses œuvres avec l’ascèse rationnelle, mais s’en distingue par sa motivation. Elle vise le bien-être surnaturel de l’homme. Cet exercice vise à rendre l’homme apte à recevoir la touche de l’Esprit Saint, à le préparer aux rencontres du Seigneur, à le rendre disponible aux vouloirs divins.
On trouve dans la règle bénédictine un grand nombre de synonymes. « Le labeur de l’obéissance » : Labor, c’est un effort à fournir, un exercice. L’image vient du travail manuel.
Le mot disciplina exprime une idée semblable. On s’impose une discipline dans son comportement extérieur et encore davantage une discipline intérieure.
On trouve les mots « militare, pugnare, pugna ». L’ascèse est un service militaire dans la milice du Christ. Les mots « opus, operari, operarius » dénotent aussi l’effort fourni dans l’œuvre de sanctification. Le Seigneur cherche son ouvrier sur le marché, un ouvrier prêt à fournir un labeur, un travail, celui de l’ascèse, en maniant les instruments des bonnes œuvres. Cela nous amène à l’expression « observance des bonnes œuvres ». Nous comprenons sous ce mot un ensemble de comportements à garder.
Nous trouvons aussi des expressions comme « abstinence, jeûne ». Ces mots désignent des privations, restrictions imposées au corps. S’abstenir de quelque chose, s’imposer un renoncement, signifie des actes d’ascèse qui consistent à retrancher des biens, licites en soi, tandis que le mot « pénitence » exprime plutôt l’esprit et les œuvres de repentir. Par contre l’invitation du Seigneur à « renoncer à soi-même » évoque une ascèse.
On parle encore de « modération » … la « patience » exprime un haut degré d’ascèse dans l’imitation de la Passion du Christ. Le mot « conversation » désigne une façon particulière de vivre qui n’est pas celle des gens du monde, une manière ascétique de vivre.
Saint Benoît parle aussi de « l’ars spiritualis », l’art spirituel. Un artisan, un artiste doit s’imposer une ascèse de recueillement, de concentration, de retraite pour fixer son œuvre dans son imagination. La création d’une œuvre d’art suppose une catharsis, une purification, une ascèse. L’art spirituel comprend des règles, des principes et des procédés qui aident à se purifier, prépare à l’Esprit un cœur disposé à recevoir son empreinte, l’image du Christ.
L’ascèse a une finalité surnaturelle, mais le champ d’action de l’ascèse est principalement l’homme naturel et plus exactement l’homme dans sa totalité, corps et âme. L’ascèse s’applique à toutes les activités du corps qui sont soumises à la volonté. Bien que la volonté ne puisse commander d’une façon directe les processus végétatifs du corps, elle exerce tout de même sur eux une forte influence indirecte, par la discipline de l’alimentation, par le rythme naturel de mouvement et de repos, de travail intellectuel et d’exercice corporel, par une vie régulière, sobre et simple, en évitant l’agitation et l’excitation déraisonnables et la nervosité non maîtrisée. Discipline de la nourriture, du sommeil… L’ascèse s’accomplit sans murmure et dans la joie de son cœur, car Dieu aime qui donne joyeusement. Celui qui se plaindrait, même seulement dans son cœur, n’a aucun mérite.
La discipline de la langue rejoint l’ascèse corporelle puisqu’il s’agit de maîtriser un membre du corps extrêmement agile. Cependant le bien et le mal qu’elle produit sont du domaine de l’esprit. Placer une garde à sa bouche et savoir discipliner sa parole est un degré d’humilité et de sagesse remarquables. Qui gouverne sa langue se possède soi-même. L’ascèse de la langue ne consiste pas seulement à ne pas dire de mal, à ne pas être loquace et bavard, mais là où il y a plus de perfection, à savoir s’abstenir de paroles même bonnes et saintes et à savoir les mesurer et les peser tout en gardant une vraie liberté d’esprit et une spontanéité naturelle. Mais il y a aussi la discipline des yeux, de l’ouïe, de la tenue du corps. Le chrétien doit surveiller ses actes dans une ascèse toujours en éveil.
Il y a aussi l’ascèse de la pensée, de la volonté, de l’obéissance, de l’humilité, de la patience, de la prière, de la stabilité et de la persévérance, de la pauvreté, de la chasteté, du travail manuel, de la ponctualité. On ne peut vivre la vie chrétienne sans une ascèse continuelle, d’autant plus que toute vie bien ordonnée impose une discipline de soi. Sur ce chemin, celui qui veut servir Dieu rencontrera…
Le découragement et l’espérance qui ne s’excluent pas forcément l’un l’autre.
Notre sœur la mort dont la présence continuelle est source de conscience et de prévision.
La crainte de Dieu qui est tout à l’opposé de la crainte de l’homme. Elle est le début de la sagesse, la motivation même de l’obéissance à Sa volonté révélée. Elle est aussi une espérance, celle de vivre dans l’intimité d’un si grand amour qu’il en est source de stupeur.
Les choses dures qui mènent à Dieu. Les épreuves de la vie ordinaire sont celles d’un chemin. Elles permettent à l’homme de se découvrir tel qu’il est exactement, en s’estimant à sa juste valeur, sans se dévaluer comme sans se surestimer. Servir la personnalité ne consiste pas à servir l’orgueil de l’homme en lui donnant une liberté telle que son sens de l’indépendance n’admette plus aucune autorité. Agir ainsi fausserait l’éducation et produirait donc un résultat contraire à celui qu’obtient une vraie formation de la personnalité. Diminuer en l’homme une juste estime de soi-même, c’est relâcher imprudemment le ressort de son énergie et de son courage, si nécessaires pour se tenir à la hauteur de sa dignité humaine ;.
L’humilité est l’échelle qui conduit vers le ciel. L’humilité est reconnaissance de sa faiblesse, de ses défauts, de sa malice foncière. Elle est ensuite détachement, de sa propre volonté. Elle se fait ensuite obéissance par amour du Christ. Elle est patience, ouverture de l’âme, sincérité, puis contentement en tout, puis enfin conscience de sa petitesse par rapport aux autres.
L’obéissance car aucune ascèse n’est possible sans obéissance (à Dieu, au père spirituel, aux autres, à son devoir d’état, aux événements de la vie, …)
La simplicité du cœur. Celui qui offre tout à Dieu a une seule direction, un aller « simple » vers son Seigneur. La simplicité s’oppose à la dualité. Tout est affaire de choix. Seule la simplicité donne la joie.
L’abandon aux desseins de Dieu, c’est la certitude que Dieu guide ma vie selon son amour. Découvrir ce plan de Dieu, le recevoir, accepter le chemin de rédemption qui se vit à travers nous, cette marche vers la vie éternelle qui nous est proposée, sans soucis, mais avec une infinie confiance.
L’art du silence.
L’écoute suppose le silence. Nous ne pouvons ni écouter ni recevoir Dieu si nous ne nous appliquons pas au silence. Plus nous parlons nous-mêmes, plus nous croyons savoir et nous nous prenons pour des maîtres, et moins nous entendons ce que le Seigneur nous dit. Chez Jésus, le silence et la parole étaient inséparables, comme s’il voulait écouter son Père pour répéter ce qu’il apprenait de lui. Il écoutait en silence et parlait ensuite. C’est pourquoi ses propos sont si bien pesés. Les paroles du Seigneur étaient donc soumises à une grande discipline. Même dans ses entretiens avec ses amis les apôtres, nous trouvons la discipline du silence et de l’écoute.
Nous trouvons là une leçon d’attitude chrétienne. Le chrétien écoute : « La foi vient de l’oreille » dit St Paul. Elle ne peut pas croître en nous si nous n’écoutons pas. Et nous ne pouvons pas écouter si nous ne savons pas vraiment nous taire. Par là nous voyons de quelle sorte de silence il est surtout question, c’est du silence intérieur. Il doit être précédé d’un grand apaisement intérieur, et d’une attention tendue vers ce qui nous est dit, une disponibilité pour tout ce qui va nous être dévoilé. Nous ne parlons pas ici d’un silence paresseux, ni d’une solitude silencieuse et vide où nous nous occuperions de bagatelles ; ils sont dépourvus de signification pour l’éternité, tout comme le silence d’un égocentrisme frivole uniquement occupé de soi-même.
Le silence est donc une disposition intérieure à écouter. Mon cœur est prêt à écouter. L’oreille du cœur, c’est la disponibilité intérieure avec laquelle nous devons accueillir la parole de Dieu. C’est tout particulièrement le calme extérieur, la pratique du silence, qui doivent nous conduire au silence intérieur. St Benoît bannit du monastère à tout jamais les bouffonneries, les paroles oiseuses et bonnes seulement à provoquer le rire. Mais éviter un tel comportement et de telles paroles ne suffit pas. Celui qui ne possède pas la discipline du silence peut être tenté de parler chaque fois qu’il rencontre un frère, d’avoir quelque chose à dire à chaque tournant de couloir, derrière chaque porte ; il peut bavarder beaucoup en peu de mots et s’occuper de bien des bagatelles. Faisant naître une dissonance et rompant l’harmonie.
Le sage peut s’exprimer en peu de mots. Sa parole est en même temps silence. Ce qu’il dit vient d cœur, et non pas seulement du bout de la langue. Ses paroles jaillissent d’une profonde méditation. C’est cela le vrai silence. Un silence faux, contraint, formaliste peut rendre neurasthénique. Le vrai silence détend et libère, nous unité à ce qui est grand, nous tient à l’écart des mesquineries et nous élève vers la transcendance, nous fait croître en Dieu.
Une parole de charité ne rompt pas le silence dit-on souvent. C’est vrai sans aucun doute si nous avons bien compris ce qu’est la charité. Or souvent nous pouvons nous tromper là-dessus. La charité est une appréciation de la grandeur des autres, une attitude juste à l’égard de la croissance de nos frères et de notre propre croissance. Si nous parlons et nous nous taisons ainsi, alors le silence et la parole sont charité.
L’exemple du Seigneur est ici encore une mesure et une norme. A son école nous apprenons à nous taire, à écouter et à parler. Ces trois attitudes sont corrélatives. Celui qui parle sans sagesse ne sait pas se taire, ni écouter, et vice-versa. La discipline du silence conduit à la discipline du discours, à l’art de parler. C’est pourquoi nous mettons une garde à nos lèvres, afin de n’en laisser sortir que des paroles capables de subsister devant la Sagesse.
Il y a un danger de pécher dans l’abondance même des paroles. Le silence extérieur n’est que la condition préalable extérieure pour devenir peu à peu maître dans l’art du silence. Celui qui tend à vivre une charité généreuse et dévouée devrait parvenir à manifester un grand amour dans ses paroles et pourtant rester habituellement silencieux et modéré. Cet art d’un silence débordant de charité le conduira à ce Dieu silencieux qui néanmoins choisit de se révéler à ceux qui ont appris à écouter dans un amoureux silence.
L’espace clos
Dans une époque dédiée à l’échange, au partage, à la spontanéité des relations interhumaines, un espace clos est nécessaire. L’homme, quel qu’il soit, a autant besoin de contact avec ses semblables que de recul, de distance, de solitude, enfin d’un chez soi inaccessible aux commun. L’artiste, le penseur, se séparent des autres pour mieux les retrouver. La pause créatrice, pour être bénéfique, exige un espace réservé. Comme l’eau s’accumule dans le barrage pour devenir une force motrice. L’homme a besoin de clôture pour multiplier ses ressources. Si certaines propriétés sont entourées de murs, c’est pour assurer aux occupants l’intimité, une zone d’indépendance, où la vie familiale peut s’épanouir en toute liberté, loin d’une promiscuité gênante et nuisible. Une bonne éducation ne peut se faire sans une communion plus intense avec les uns et une certaine séparation d’avec les autres. Aussi rébarbatif que soit l’écriteau Entrée interdite, il affirme le droit inaliénable de l’homme à la protection de sa propre personnalité, le droit à créer un domaine où il puisse vivre en toute liberté et être soi-même. S’il croit celui-ci menacé, il a le droit – qui certes est relatif puisqu’il est fonction de la sauvegarde du bien commun – d’afficher une sentence de non accueil vis-à-vis de ce qui pourrait détruire ou perturber son équilibre.
Le chrétien a besoin de recueillement. Pour lui-même, pour devenir un homme de Dieu, pour rencontrer le Seigneur et se découvrir en Lui comme dans un miroir parfaitement limpide, pour connaître et aimer l’homme son frère, il faut une retraite, une clôture. C’est une question d’attitude de l’âme. Nulle hésitation pour recevoir les hôtes, puisque c’est le Christ que l’on reçoit en eux. Mais une cohabitation intégrale ne semble pas souhaitable : il y a un jardin fermé. Homme d’une seule recherche, le chrétien désire être libre de tout ce qui peut l’en détourner, il prend la fuite, non pour reculer mais pour courir vers Dieu, il se cache en lui, il se fait prisonnier du Christ.
Cette captivité dans le christ est toute spirituelle et volontaire. Il s’agit d’entrer dans le tabernacle de l’âme. Cette « clôture » s’attache à la personne plus qu’aux lieux. Cette attitude en apparence négative, de refus, de non accueil, est nécessaire en vue d’obtenir un effet entièrement positif : gagner, en se recueillant, la liberté. Jésus nous met en garde contre le monde pris dans le sens de saint Jean. Certes le mal est en nous et ne fait pas halte devant les portes sacrées. Pour l’éviter entièrement, il faudrait sortir du monde, mais on peut interdire l’entrée à tout ce qui est porteur de l’esprit du monde. Le Chrétien ne veut pas être de ce monde, il fuit le monde qui s’oppose au Christ, il veut être à l’abri de son tapage mensonger et de ses mirages trompeurs. Il lui faut une zone réservée d’où les messagers du monde doivent être exclus.
Se tenir loin du monde et de toute sa pompe est un devoir évident pour le chrétien ; au baptême n’a-t-il pas promis d’y renoncer ? Non seulement il faut frapper le mal d’exclusion, mais encore dresser une clôture contre tout ce qui peut troubler l’effort de purification et d’adhésion à Dieu seul : personnes, usages, façons d’agir, livres, médias etc… se protéger non seulement du mal, mais de tout ce qui pourrait frapper désavantageusement l’imagination.
Couper les liens nuisibles est nécessaire pour appliquer aux liens utiles une nouvelle mesure, celle de l’amour purifié, ou même revaloriser es contacts, ses attaches, ses relations dans la lumière de l’amour de Jésus et de l’évangile. Certaines amitiés doivent être approfondies, d’autres, même licites en soi seront retranchées afin de renoncer à un bien secondaire pour un plus grand. Cette garde volontaire doit être prise comme une invitation constante à conformer notre cœur par un renoncement lucide et libre à tout ce qu’elle n’admet pas, faut de quoi elle perdrait sa pleine signification. Ce processus d’adhésion cordiale a pour effet de transformer l’âme même en une clôture paisible où le croyant aime à se retirer pour vivre avec lui-même. Mais si la présence de Dieu n’habite pas cette retraite, elle ne sera pas réellement positive. C’est pour le chercher et recevoir ses visites, que l’on renonce à d’autres visites. Afin de demeurer dans le Christ qui nous appelle.
Le travail
Il faut distinguer deux aspects dans le problème du travail : la question de principe d’une part et les nécessités de la vie, de l’autre. La question de principe : il et évident qu’en conscience nous devons faire un travail utile. La vie de Jésus est là pour nous faire voir comment il nous faut concevoir le travail. Gardons-nous d dire que Notre Seigneur n’a pas travaillé parce qu’il a prié ou qu’il a circulé à travers son pays pour prêcher. Il a travaillé dans son atelier pendant de nombreuses années, et d’une autre manière ensuite pendant les trois ans de son ministère public.
Le rythme et la variété caractérisent notre vie de travail… Il est très important d’assurer un certain équilibre entre ses différentes expressions. Nous devons être capables de fournir un travail rentable, et non pas seulement de nous occuper de bagatelles. Si notre activité n’était pas telle que nos puissions en vivre, nous serions des parasites. L’oisiveté est à éviter. L’œuvre de Dieu (prière) est un vrai travail, nous ne devons pas céder à la tentation de supprimer ou d’adapter cette mission. La société ne pourra jamais voir en elle qu’un passe-temps inutile ou même un gâchis irresponsable de forces. Rien ne doit être préféré à l’œuvre de Dieu dit saint Benoît. Le choix du travail pose un problème : nous devons travailler, mais le travail doit s’intégrer dans notre vie chrétienne.
Nous ne pouvons être à la charge de la communauté sous prétexte de contemplation et peser sur elle en vaquant à notre prière privée à l’heure du travail. Le travail fait partie de la vie contemplative. Ne tombons pas dans l’erreur de croire qu’il y a la vie contemplative d’un côté et le travail de l’autre. Il fait partie intégrante de notre vie. C’est pourquoi il faut adopter un régime de vie planifié, un horaire détaillé. Il s’agit d’un dosage.
La prière, la contemplation ne peuvent jamais être un prétexte contre le travail. D’autre part, la nécessité du travail ne doit jamais suffoquer la paix de l’âme ni troubler sa tranquillité. Ces dispositions sont indispensables pour élever l’esprit à Dieu. « Ora et labora » s’étayent et se complètent.
Par le travail productif l’homme participe à l’œuvre du Créateur et Le seconde pour embellir la terre et la parfaire. L’engagement au travail forme la personnalité, suscite la créativité et fait avancer la connaissance. En s’unissant par son travail au Créateur, il entre en communication profonde avec les énergies de l’Amour divin qui est au départ de toutes choses et apprend ainsi que la vraie source de toute production et le premier moteur de son activité doit être l’Amour, s’il veut faire œuvre durable et authentique.
L’usage des outils.
Dans les fouilles faites pour retrouver les traces de l’homme sur la terre, on s’en tient au principe qui veut que là où il y a des instruments et des outils à côté des ossements, ceux-ci sont humains, s’il n’y en a pas, on suppose qu’il s’agit d’hominiens. En effet l’homme ne peut être séparé de l’outil… Les outils reçoivent une destination qui les élève au dessus de leur prix purement matériel, tout comme le calice est consacré par une onction au service de l’autel. Une discipline personnelle s’impose à chacun. (Ordre, propreté, entretien)
La stabilité et la fidélité
Nous pouvons évoluer, il est vrai, mais tout en gardant l’identité de notre personne. Nous sommes perfectibles et c’est notre noblesse de pouvoir devenir ainsi chaque jour plus semblables à Dieu. Nous arrivons, du reste, à un certain moment de notre existence à un état où aucun changement n’intervient plus. Nous nous préparons à la vie éternelle par la continuité de notre effort et par la fidélité à Dieu et à nous-mêmes. Toute vie est une préparation à l’éternité. Entrer dans un état de vie permanent n’est pas seulement question d’occupation ou de profession. Le mariage fonde une union indissoluble, une forme de vie permanente, de même la consécration ne change pas. La promesse solennelle est le signe qui nous y introduit. Nous devons rester fidèles.
Certains pensent autrement sur ce point et avancent que par respect envers le dynamisme intérieur de la vie, on peut être amené à paraître extérieurement infidèle à une parole donnée. Par exemple, pour rester sincère avec soi-même, on pourrait devenir infidèles à la parole donnée le jour de notre consécration (ou mariage). Cette infidélité serait-elle seulement apparente ? Non, car en voulant rester fidèle à soi-même on romprait une promesse solennelle faite à Dieu et par conséquent, en brisant une ligne de conduite établie après une longue réflexion, on changerait de route sur un point capital engageant toutes les dimensions de la personnalité, brisant donc son identité et la cohésion de ses démarches les plus personnelles. De telles idées amènent à renier toute obligation à l’engagement pris.
Mais Dieu est fidèle. Il l’est par l’assistance de sa grâce, en nous appelant, en nous recevant, en nous stimulant continuellement. Il est un ami absolument fidèle, et nous, nous ne voudrions pas l’être pour Lui ? Nous croirions qu’une infidélité à la parole donnée peut être une vraie fidélité devant Dieu ? Non. Ceci est une équivoque renverse toutes les notions justes et mènerait en fin de compte au manque de valeur absolue de toutes choses, à un évolutionnisme outrancier, à une insécurité et à une instabilité légitimée par une soi-disant philosophie existentialiste.
La stabilité, la fidélité, par contre, correspond non seulement à une philosophie chrétienne, mais est une nécessité de notre vie morale. Nous avons conscience, chacun de nous le sait, d’être toujours identiques à nous-mêmes. Cela ne veut pas dire que nous ne suivions pas un développement, une évolution saine qui doit être une amélioration continuelle et répondre à notre possibilité de croissance. Mais l’identité de la personne reste : c’est moi qui grandis, moi qui suis perfectible et ce moi reste identique. Cette identité est l’un des plus grands dons que nous ayons reçus : rester nous-mêmes, tout en grandissant en sagesse comme en âge. Rester nous-mêmes, rester dans notre ligne propre, croître harmonieusement, organiquement, normalement, sans fissure, sans dédoublement, est un idéal qui correspond à toutes les notions fondamentales de notre foi. Il ne serait plus possible de penser à un Dieu permanent si ce Dieu n’avait pas donné à sa création une puissance de croissance, oui, mais de croissance de soi-même.
L’habit
La tendance de l’homme est de s’imposer par la richesse de son vêtement, de se distinguer de la masse, et de former avec d’autres des groupes où le vêtement devient uniforme (mode). L’individu signale ainsi son appartenance à un état, un office, une classe… Plus ce que l’habit veut manifester est spirituel, plus le danger est grand d’un désaccord entre l’habit et la vie qu’il signifie (l’habit ne fait pas le moine). On peut mentir par l’habit.
Le chrétien doit se distinguer par sa vertu, et non par des signes extérieurs nécessairement ambivalents : Certains mentent à Dieu par leur tonsure, dit saint Benoît ! L’habit (religieux ou non), non seulement exprime extérieurement ce qu’est quelqu’un mais lui donne la conscience intérieure qu’il doit l’être (Paul VI).
Cet aspect moral, ce rappel constant à la conscience et à la noblesse des sentiments est profondément chrétien. Toute licence, par la logique de la faiblesse humaine, aboutit au relâchement en matière plus grave. La recherche en cette matière délicate doit donc se faire avec beaucoup de tact spirituel. Le principe de saint Benoît est le suivant : on reconnaît le croyant à son souci foncier d’assumer la pauvreté (l’humilité, la pureté, la noblesse de vie, etc.) à la suite du Christ, vertus dont son habit est le signe.
Les œuvres bonnes
Il n’y a pas de foi sans les œuvres. Le Seigneur cherche dans la multitude de son peuple son ouvrier, c’est-à-dire un ouvrier capable d’œuvrer. Je fais une offre, dit le Seigneur, la vie. Si tu donnes les œuvres, alors tu auras la paix et la vie. Saint Benoît encourage à s’engager avec sérieux dans la pratique des vertus. « Il faut courir et agir maintenant d’une façon qui nous profitera pour l’éternité ».
« Voici quels sont les instruments de l’art spirituel ; si jour et nuit, sans relâche, nous nous en servons, au jour du jugement nous les remettrons et le Seigneur nous donnera la récompense promise ». Aujourd’hui l’oreille est moins habituée à entendre un tel langage et l’homme moderne n’a pas grand attrait pour le système des rétributions. Il préfère être sollicité à la charité désintéressée et désire que l’accent soit mis sur la béatitude de la vie chrétienne. La charité porte, en effet, en elle-même sa récompense ; n’est-elle pas l’unique clef ouvrant les portes de la béatitude, dont elle est un début dès cette vie et l’accomplissement dans l’autre ? Ne l’oublions pas cependant : la charité n’existe pas sans les œuvres, elles y trouvent leur récompense.
Certaines âmes s’ouvrent très tôt, c’est vrai, à un tendre amour pour Jésus, pour le Père. Mais plus généralement, pour comprendre la charité, il nous faut satisfaire aux commandements, c’est une attitude de base. Ainsi nous apprenons l’amour de Dieu en Lui obéissant. Nous manifestons notre amour et il y répond. Cet amour grandit, alors de plus en plus, il gouverne nos actes. Ce que nous faisions tout d’abord sous la contrainte, puis aidés par une habitude bonne et par le charme de la vertu, nous le faisons finalement par amour. Saint Benoît est un réaliste ! Cet amour dont brûle notre cœur, nous l’avons appris par la connaissance et la pratique en cheminant sur la route des commandements et des œuvres. Etre attentif à Dieu et à ses demandes, nous le comprenons peu à peu, c’est l’amour.
Le zèle
Il y a un zèle qui conduit à Dieu et un zèle mauvais et amer qui conduit à l’enfer. En descendant, on s’éloigne de Dieu, en montant, on s’éloigne des vices pour approcher de Dieu et de la vie éternelle.
Le zèle de Dieu est synonyme de ferveur, d’empressement. Dans le langage courant nous disons, en voyant deux personnes rivaliser à l’ardeur à une même besogne : ils travaillent à l’envi. Le zèle est une façon d’agir, une qualité de l’action. Une qualité dans l’exercice de la charité fraternelle. Il faut être zélé dans l’amour. Car aimer sans empressement fait douter d’agir avec une vraie charité. Le manque de zèle peut être un mauvais zèle. Si nous faisons le bien choisi avec des soupirs sans enthousiasme, en y mettant le temps comme si nous avions peur de notre peine, que reste-t-il de notre zèle ? Un acte de charité mal fait peut-être pire qu’une omission.
Premier échelon du zèle envers les frères : honorer les frères, deuxième : supporter les infirmités (corps et esprit) des autres, troisième : s’obéir les un les autres, quatrième : rechercher non ce qui est utile à soi, mais à l’autre, cinquième : se rendre les devoirs de la charité fraternelle.
Zèle envers Dieu : premier échelon : la crainte inspirée par l’amour, deuxième : une dilection humble et sincère envers qui est chargé de diriger notre vie spirituelle, troisième ne préférer absolument rien au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.
Ne rien préférer à l’amour du Christ : en toute décision pratique, là où dans l’amour de notre frère se glisse une certaine tendance de désaccord pour vivre celui du Christ comme un amour privilégié et souverain, que nous sachions toujours opter pour lui. C’est ainsi que tout converge vers un sommet, le Christ.
Le chrétien ne peut pas se contenter de demi-mesures, de médiocrité. Toute sa vie manque de sens, si elle manque d’élan. Courir exige un effort, de l’élan, de l’enthousiasme, du zèle.